Le soleil de mai baignait doucement l’atelier-bureau de Gabriel Lumiel, situé à flanc de colline, où la pierre blonde du Lubéron semblait capturer la lumière comme un souvenir figé. À l’intérieur, une odeur subtile de bois ciré et de lavande flottait dans l’air. Les fenêtres grandes ouvertes laissaient entrer le chant des cigales et le murmure lointain du vent dans les oliviers. Tout ici respirait la sérénité, un contraste saisissant avec l’effervescence des bureaux de recrutement qu’il avait connus vingt ans plus tôt.
Gabriel était assis à son bureau, une large table en bois brut parsemée de tubes de peinture, de pinceaux épars et de livres aux couvertures usées. Richard Bach, Jack Kerouac, Paulo Coelho… autant de compagnons de réflexion qui l’avaient guidé dans ses années de quête personnelle et professionnelle. À côté de ces ouvrages, des biographies de figures visionnaires comme Steve Jobs et Ada Lovelace côtoyaient des traités sur le développement personnel et des carnets remplis de croquis abstraits.
Dans ses mains, il tenait un objet presque archaïque : un vieux CV imprimé datant de 2025. Il sourit en coin, amusé par la simplicité de ce document, un rectangle de papier chargé de mots soigneusement choisis, mais souvent déconnectés de la véritable essence du candidat.
Les lunettes holographiques : La fenêtre sur l’invisible
Sur son nez reposaient ses lunettes holographiques, un bijou de technologie qui avait remplacé les écrans depuis bien longtemps. Ces lunettes, fines et légères, projetaient devant ses yeux des interfaces intuitives et immersives. D’un simple geste de la main, Gabriel pouvait faire apparaître une timeline flottante retraçant l’évolution du recrutement entre 2025 et 2045.
Les lunettes n’étaient pas qu’un outil de visualisation. Elles étaient devenues une extension de l’esprit, capables d’analyser des données complexes, de lire les émotions d’un interlocuteur grâce à des capteurs biométriques, ou encore de recréer des simulations immersives. Dans le domaine des RH, elles avaient révolutionné les entretiens, permettant d’évaluer non seulement les compétences techniques d’un candidat, mais aussi son alignement émotionnel et culturel avec une équipe.
Gabriel se souvenait des premières applications de ces lunettes dans le recrutement : des simulations d’environnement de travail en réalité augmentée, des analyses en temps réel des expressions faciales pour détecter le stress ou l’enthousiasme. Mais il se souvenait aussi des dérives : des entreprises qui les utilisaient pour traquer les moindres failles dans le discours des candidats, oubliant que l’humanité ne se résume pas à des algorithmes.
2025 : L’âge d’or des CV générés par IA
En consultant ces vieux CV, Gabriel replongea dans ses souvenirs. 2025, c’était l’époque où l’intelligence artificielle, incarnée par des outils comme ChatGPT, avait pris d’assaut le monde du recrutement. Les candidats, pressés par la performance, avaient commencé à déléguer la rédaction de leurs CV à l’IA.
Le processus était simple : il suffisait de fournir à l’IA une description de poste et un CV de base, et celle-ci générait un document parfait, calibré pour passer les filtres des ATS (Applicant Tracking Systems). Ces CV étaient impeccables, mais terriblement impersonnels. Ils étaient comme des masques, dissimulant la véritable identité des candidats derrière une façade de perfection.
Gabriel, à l’époque, était obsédé par l’idée de convaincre les candidats de créer un CV unique, authentique, qui reflétait leur essence plutôt que de répondre aux attentes d’un algorithme. Mais il savait que le système était biaisé. Lentement mais sûrement, cette course à la perfection avait conduit à la disparition progressive du CV traditionnel.
2035 : L’émergence de l’Imprint of Purpose
Vers 2035, Gabriel Lumiel, toujours en quête de réconcilier humanité et technologie, avait conçu un nouveau concept qu’il avait baptisé « Imprint of Purpose ». Ce terme, qu’il chérissait particulièrement, représentait bien plus qu’une simple évolution du CV.
L’Imprint of Purpose n’était pas un document, mais une expérience interactive et profondément personnelle. Elle combinait des récits introspectifs, des simulations immersives et des données émotionnelles pour révéler ce qui animait véritablement un individu : ses valeurs, ses aspirations, et sa mission de vie.
Pour Gabriel, l’idée était simple mais révolutionnaire : chaque individu laisse une empreinte unique dans le monde, non pas grâce à ses compétences techniques ou à ses expériences passées, mais grâce au sens qu’il donne à ses actions. L’Imprint of Purpose devenait ainsi une sorte de manifeste personnel, une carte vivante de ce qui rendait une personne irremplaçable.
2045 : Le bureau-atelier de Gabriel Lumiel
Gabriel posa le vieux CV sur son bureau, à côté d’un tableau inachevé. Depuis qu’il s’était retiré près de Gordes, il avait trouvé dans la peinture une nouvelle forme d’expression. Ses toiles abstraites, pleines de couleurs vives et de textures brutes, reflétaient son parcours intérieur.
Il peignait comme il avait appris à recruter : avec ses tripes, en laissant l’intuition guider chaque geste. À travers ses œuvres, il exprimait ce qu’il avait toujours cherché chez les autres : l’authenticité, la vulnérabilité, la beauté brute de l’imperfection.
Dans le calme de son atelier, bercé par les bruits de la nature, Gabriel se demanda ce que l’avenir réserverait encore au monde du travail. Peut-être que, dans vingt ans, les entreprises n’auraient même plus besoin de recruter. Peut-être que les communautés s’auto-organiseraient, choisissant spontanément leurs membres en fonction de leurs affinités et de leurs besoins.
Mais pour l’instant, il était simplement reconnaissant d’avoir contribué, à sa manière, à réinventer le recrutement. Et tandis qu’il reprenait son pinceau, une pensée lui traversa l’esprit :
« Le véritable CV, c’est celui que l’on porte en soi, dans nos choix, dans nos rêves, dans nos échecs. C’est une œuvre vivante, toujours en mouvement. »